samedi 7 février 2009

Sésame.

J’avais promis à un patient de lui déposer dans sa boîte à lettres un compte-rendu d’examen emprunté pour besoin de photocopie. 23h : rentrant du cinéma j’étais donc devant la porte de son immeuble, composant le code. Tiens, bizarre, aucune réaction ! J’ai dû faire une erreur en appuyant sur les touches. Je recommence ; rien. Je recommence lentement, précautionneusement ; rien. Je l’ai composé l’après-midi même et on ne m’a pas prévenu d’un changement prochain; rien. D’autant plus sûre de moi que par un hasard providentiel, il s’agit des 4 chiffres de la plaque d’immatriculation de ma voiture. Je commence à douter ; mon numéro d’immatriculation est peut-être le code d’un autre immeuble. La ronde des codes commence dans ma tête, dans le désordre d’abord et l’horreur m’envahit.

Je décidai de récapituler chronologiquement tous les codes effectués depuis le matin, un mardi ordinaire.

8h : avant de quitter mon domicile, je branche mon téléphone portable – 1er code –

8h50 : j’arrive à mon cabinet d’orthophonie et j’allume mon ordinateur – 2ème code –

je me connecte sur msn - 3ème code –

je prends connaissance de mes messages sur orange.fr – 4ème code –

j’ouvre mon logiciel professionnel – 5ème code –

je branche l’appareil qui me permettra de télétransmettre et je tape mon code de
professionnelle de santé - 6ème code-

13h : après une matinée de consultations je télétransmets les feuilles de soins – 6ème code une 2ème fois –

14h : 1ère maison de retraite ultra moderne ; après avoir pu stationner dans le parking souterrain en donnant dans un interphone l’objet de ma visite, il faut faire fonctionner l’ascenseur – 7ème code –

15h : ma consultation auprès d’une patiente Alzheimer terminée, il faut sortir de ce bâtiment. Tout d’abord, trouver un membre de l’équipe soignante possédant une clé permettant d’appeler l’ascenseur. Une fois dans l’ascenseur, se dépêcher de faire le code pour ne pas partir dans les étages ou rester coincée au même niveau. Quand il a été possible de retrouver sa voiture la partie est gagnée ; les 2 portes du parking actionnées par une cellule s’ouvrent seules. Il ne m’est encore jamais arrivé de rester coincée entre les 2 mais je ne désespère pas.

Il m’est arrivé de partager la descente avec un résident parvenu à tromper la surveillance. Que faire ? L’empêcher de monter dans l’ascenseur ? Lui demander où il
va ? Se cacher pour taper le code comme une petite fille à l’école refusant que des yeux indiscrets parcourent son cahier ? Se demander s’il a été enfermé vivant ? L’aider à s’évader et lui souhaiter bonne chance ?

15h15 : 2ème maison de retraite de construction nettement plus ancienne que la précédente. Cette fois, le digicode commandant l’ascenseur se trouve à l’extérieur et permet l’appel de celui-ci. Nettement moins flippant. – 8ème code -

16h15-18h30 : Trois visites à domicile – 9ème, 10ème et 11ème codes –

18h45 : Petit tour par le bureau : je prends connaissance de mes messages sur le répondeur France Telecom – 12ème code - ; je consulte sur internet le solde de mon compte bancaire – 13ème code ; avant d’éteindre mon ordinateur, je fais une sauvegarde de mes données sur clé USB – 14ème code -

19h : je m’arrête au distributeur de la banque, histoire de payer ma place de cinéma en menue monnaie – 15ème code –

19h15 : je passe prendre une amie chez elle – 16ème et 17ème codes, un sur rue et un sur cour –

23h : je rentre chez moi fourbue – 18ème et dernier code pour aujourd’hui –

J’appris le lendemain la raison de ma déconvenue : à partir de 22h, le code sur rue n’est plus opérationnel ; une clé est nécessaire pour accéder aux boîtes aux lettres.

Au feu, les pompiers !

Ce fut une journée bien ordinaire. Je prends conscience qu’au fil des jours j’en ai emmagasiné le double voire le triple. Est-ce que ça prévient des maladies de la mémoire? Bien sûr, comme au patinage, il y a les libres et les imposés ; les permanents et les changeants pour toujours plus de sécurité. Mais je suis protégée, j’ai un moyen mnémotechnique infaillible : les départements révisés à l’occasion de chaque escapade dans la province française. Les chiffres se transforment dans ma tête : Ardennes-Territoire de Belfort, Finistère-Pyrénées Atlantiques, Aveyron-Maine et Loire etc…

Moins d’emplois ? Mais c’est le progrès, on n’y peut rien. J’ai envie de chanter à la manière de Gainsbourg « j’fais des codes, des ptits codes, encore des ptits codes. »

Soudain, je m’arrête net : on va supprimer les numéros des départements !!!